MÉMOIRES ET ÉVALUATION À L’ECOLE: AVIS DES NEUROSCIENCES

Les sciences cognitives interpellent les modalités d’évaluation des acquis des élèves, en particulier dans le champ des mémoires. Pour deux raisons :

  • Acquérir un savoir ou un savoir-faire exige un temps long de retours et de reprises sous diverses formes. Le contrôle rapproché de l’apprentissage ne reflète pas ce qu’il deviendra à moyen terme en raison de l’oubli. Et le temps nécessaire à son acquisition n’est pas pris en compte.
  • Evaluer, c’est prendre une photographie aussi fidèle que possible des acquis. Les trois principaux modes de rappel sont le rappel libre, le rappel indicé et la reconnaissance. Ces trois modes sont à considérer.

Développement

L’acquisition des savoirs, des pratiques rationnellement conduites (savoir appliquer une méthode) mais aussi des automatismes (cachées au sein de toutes les activités) s’effectue sur des temps long

Non seulement il n’est pas logique, mais il n’est pas concevable de penser que le contrôle d’une acquisition puisse se faire de façon rapprocher du premier apprentissage.

Quels acquis reflète le contrôle ?

Quels objectifs assigne-t-on couramment à un contrôle ?

. Vérifier que l’élève a « appris » des savoirs

. Vérifier qu’il a « compris » et qu’il sait transférer des raisonnements et des méthodes sur des situations voisines mais similaires avec des écarts plus ou moins grands.

. Accumuler des bilans afin de porter une appréciation sur la situation scolaire de l’élève, ce qui permettra par exemple de l’orienter ou de lui décerner un diplôme dans le cas d’un examen.

On pense plus rarement que le test ou le contrôle sont des activités intenses de remémoration, de questionnements et de mise en liens des connaissances, donc d’apprentissage (Cf. Rubrique SE FORMER, MULTITESTING POUR UNE MEMORISATION EFFICACE).

Etablissons un lien entre ce que nous apprennent les sciences cognitives, et ce que cherchent à évaluer les contrôles et tests : apprendre, comprendre, transférer.

Associons à ce terme le sens de retenir, avoir mémorisé, installé des significations et des liens dans l’ensemble des mémoires dites « à long terme », installé des procédures en mémoire à très long terme.

Les sciences cognitives nous disent :

  • Que l’installation des acquis s’effectue par le processus de la consolidation mnésique (plusieurs retours et reprises, possibles avec des écarts expansés sur des temps longs, si possibles également à travers des exercices et activités variées). Pour les éléments dits « sémantiques », et a fortiori pour les automatismes (« procédures »).
  • Qu’ignorer ce travail, c’est être dans l’illusion que les notions sont acquises, c’est stopper le processus d’acquisition.
  • Que la rétention d’une notion est vulnérable au cours des premiers temps de son acquisition, l’oubli fait son œuvre, les molécules qui en sont chargées naturellement poursuivent leur travail !

Or comment s’organise le plus souvent un contrôle ?

. Un chapitre, une partie du programme, sont traités sur une durée ramassée.

. Il est demandé à l’élève « d’apprendre » en vue du contrôle, dans les jours qui suivent.

. Une note est affectée.

Nous sommes bien conscients toutefois qu’un contrôle ne porte jamais sur une partie isolée du programme, mais toujours également sur des notions acquises antérieurement. Posons-nous les questions suivantes :

  • Faute de n’avoir pas consolidé les notions en mémoire, quelques semaines plus tard le rappel sera beaucoup plus difficile. Que signifie la note accordée à un instant t, si la mobilisation des savoirs s’est considérablement affaiblie un espace de temps Dt plus tard ? En réalité, la note valide le plus souvent le travail réalisé lors la première acquisition massée, mais insuffisante.
  • La logique voudrait que la note représente non pas l’acquis quelques jours après le premier apprentissage, qui va chuter, mais l’acquis sur un terme beaucoup plus long.
  • A-t-on pris en compte le nécessaire travail de consolidation pour l’ancrage durable d’une notion ? Le plus souvent non !

Ce sont les exemples cités dans nos témoignages (cf. Rubrique TEMOIGNAGES, SCORE DIVISE PAR 5, QUELLE NOTE PRENDRE EN COMPTE ?, ou EN 8 SEMAINES ILS ONT PRESQUE TOUT OUBLIÉ) de ces professeurs qui font refaire exactement le même test 8 semaines plus tard avec un score divisé par 5 quels que soient les élèves, et qui sont déroutés par la question de savoir quelle note conserver : la première immédiatement après l’apprentissage, 8 semaines après, la moyenne des deux ?).

Ces questions, évidentes pour les sciences du cerveau, interrogent le sens de la note – et l’utilisation qui en est faite – ainsi que la justesse des modalités d’évaluation.

Ne conviendrait-il pas, par exemple, de mettre en place le multi testing (cf. Rubrique SE FORMER, MULTI TESTING POUR UNE MEMORISATION EFFICACE), à faible coefficient, complété par un contrôle différé prenant en compte les indispensables stratégies de consolidation, affecté d’un coefficient élevé et davantage représentatif de l’acquisition ?

Comprendre

L’explicitation de ce mot mérite qu’on lui consacre une section entière. Nous renvoyons à l’ébauche de ce point

Pour rappel :

  • Comprendre englobe un grand nombre d’opérations mentales, hélas confondues dans l’utilisation courante de ce terme. Il peut signifier :

. Faire sens et liens avec des acquis antérieurs

. Etre capable de déclarer ce qui a été exposé, avec d’autres mots, aussi justement que possible

. Associer avec des exemples, des situations, des références

. Etre capable d’appliquer à une situation nouvelle en appliquant un raisonnement, une méthode

. Etre capable de faire émerger – par exemple d’un texte – des informations ou des contenus implicites.

  • Dans tous les cas on ne peut pas comprendre sans savoir, sans disposer en mémoire d’un « stock » suffisant d’acquis antérieurs.

Evaluer la compréhension d’un concept ou d’une méthode, c’est indirectement évaluer la mémorisation du matériau qui a servi à comprendre. Et l’on retombe dans le raisonnement de la rubrique précédente sur « retenir ». Comprendre ne se ramène pas qu’à mémoriser, mais on ne peut comprendre sans avoir mémorisé en amont.

Transférer

Nous définissons le terme transférer par l’opération d’appliquer sur une situation voisine et nouvelle ce qui a été acquis à partir de quelques situations d’apprentissage servant de modèles, de repères, d’entraînement.

Or il est presque systématique d’évaluer chez l’élève sa capacité à transférer, en lui proposant en contrôle des exercices, des textes, des situations différentes des situations d’apprentissage. Ce qui pose deux questions :

  1. Combien de situations d’apprentissage sont nécessaires à l’apprenant pour traiter la situation nouvelle ? Combien d’exercices d’application d’un théorème mathématique ou d’une propriété en sciences physiques ? Deux ? Cinq ? Dix ? Davantage ? Pourquoi celles-ci et non d’autres, choisies parmi une multitude ?
  2. Quels écarts choisit l’interrogateur entre les situations d’apprentissage et la situation du contrôle pour évaluer ? Situations très similaires ? Ecarts importants ? Pour quelles raisons et pour quels élèves ? Pourquoi pas une des situations d’apprentissage au contrôle ?

La question du transfert est majeure concernant l’évaluation. Et légitime car l’un des objectifs de l’enseignement est de préparer l’élève à la gestion de situations inédites. Elle est hélas trop peu réfléchie au moment de construire l’évaluation, et par anticipation au moment de construire la stratégie d’apprentissage.

Questionner les modes de rappel

L’évaluation d’un acquis consiste à le rappeler en mémoires. On distingue trois modes principaux de rappel :

  1. Le rappel libre. C’est le plus difficile. On demande à l’élève de rappeler sans support ni indication, des informations sur un thème (c’est le cas lorsqu’on pose une simple question, mais aussi lorsque les élèves effectuent un développement à partir d’une seule question ou d’un intitulé très bref). Par exemple avec les sujets de bac en histoire-géographie.
  2. Le rappel indicé : l’élève dispose d’indices qui le mettent sur la voie (c’est le cas d’un travail à partir de documents, d’un mot qui en appelle un autre, d’un signe évocateur). On connaît les études qui consistent à demander de lister les camarades de classe 30 ou 40 ans après. La personne est bien incapable d’en citer plusieurs. Mais lorsqu’on lui présente la photo, elle en reconnaît plus de la moitié en étant capable de citer quelques noms. Ce qui était impossible librement, le devient avec un indice (visuel ou autre). La question en lien avec l’évaluation est : « la personne avait-elle l’information en tête, ou non ? ». Que cherche-t-on à savoir lors de l’évaluation : si la personne est capable de rappeler librement, ou si elle possède l’information quelque part dans sa mémoire ?

On peut ressentir l’impression d’avoir oublié une information, alors qu’en réalité elle n’a pas disparu, le chemin du rappel étant devenu difficile.

  1. Le rappel par reconnaissance : le sujet doit choisir la bonne parmi plusieurs solutions qui lui sont proposées : quiz, QCM. C’est évidemment la méthode la plus facile. Par forcément la plus pertinente car la soumission à des hypothèses fausses peuvent entraîner à tort leur mise en mémoire. Certes les QCM sont très souvent utilisés, mais en termes de processus cognitifs, ne sont peut-être pas très pertinents ! Sauf à les construire avec une grande habileté.

Construire un contrôle afin de disposer d’une photographie aussi juste que possible de ce que sait un élève, devrait passer par un mixage judicieux des modes de rappel.

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